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View Full Version : L'enterrement chez les Varègues



Elveon
10-12-2010, 01:20 PM
(autobiographie)

"On m'avait raconté que, lorsque leurs chefs mouraient, la crémation était la moindre partie de leurs pratiques funéraires et, en conséquence, j'étais fort curieux d'en savoir davantage là-dessus.
Un jour, j'appris que l'un de leurs chefs était mort. Ils le placèrent à l'écart dans une tombe qu'ils couvrirent pendant dix jours jusqu'à ce qu'ils eurent fini de tailler et de coudre son costume. Si le mort est pauvre, ils font un petit bateau, le placent dedans, et le brûlent. Mais s'il est riche, ils divisent ses propriétés et ses biens en trois parts: l'une pour sa famille, l'autre pour payer le nabid (bière des funérailles= erfiöl) qu'ils boiront le jour où l'on tue l'esclave du mort pour la bruler avec lui (...). Quand l'un de leurs chefs meurt, la famille de celui-ci demande à ses esclaves et à ses servantes:" Laquelle d'entre vous souhaite mourir avec lui?" Alors, l'une d'entre elles dit:"Moi", et celle qui a dit cela est forcée de le faire, il ne lui est pas possible de se dédire.
Le souhaiterait-elle qu'on ne le lui permettrait pas. Celles qui le veulent sont surtout des femmes esclaves.

Ainsi, quand cet homme mourut on demanda à ses esclaves:"Laquelle d'entre vous souhaite mourir avec lui?" L'une d'elles répondit:"Moi". A partir de ce moment elle fut constamment en la garde de deux autres servantes qui prirent soin d'elle au point de lui laver les pieds de leurs propres mains. On commença à faire les préparatifs pour le mort, à tailler son costume, etc..., tandis que chaque jour la femme condamnée buvait et chantait comme en prévision d'un événement joyeux. Quand arriva le jour où le chef et son esclave allaient être brûlés, j'allai jusqu'à la rivière où son bateau était amarré. On l'avait hissé sur la berge (...). Puis l'on avait disposé autour quelque chose qui ressemblait à un grand tas de bois. (...)

Les gens commençaient à marcher alentour en parlant un langage que je ne pouvait comprendre, mais le cadavre gisait toujours dans la tombe; ils ne l'en avaient pas encore enlevé. Ils apportèrent alors un banc de bois, le placèrent sur le bateau, et le couvrirent de tapis et de coussins de dibag de Byzance. Arriva alors une vielle femme qu'ils appellent "l'ange de la Mort", et elle étala ces coussins sur le banc. c'est elle qui était chargée de toute la cérémonie, depuis l'habillage du cadavre jusqu'à l'exécution de l'esclave.

Je remarquai que c'était une femme de taille gigantesque, massive et effrayante. Quand on arriva à sa tombe, on enleva la terre du cadre bois, et l'on emporta également ce cadre. Ensuite, le cadre fut dépouillé de vêtements dans lesquels il était mort. Je remarquai que le cadavre était devenu tout noir à cause du gel intense. Lorsqu'ils l'avaient placé dans sa tombe, ils lui avaient également donné de la bière, des fruits et un luth, toutes choses qu'ils enlevèrent alors. Très curieusement, le cadavre ne sentait pas, et rien en lui n'avait changé sinon la couleur de la chair. Ils se mirent alors en devoir de le vêtir de caleçons, de pantalons, de botte, d'un habit et d'un manteau de dibag orné de bouton en or; le coiffèrent d'un chapeau de dibag et de fourrure de zibeline; et le transportèrent jusqu'à la tente du bateau (...). Ils apportèrent alors du nabid, et des fruits et des plantes aromatiques et placèrent ces choses autour de son corps; et ils apportèrent aussi du pain, de la viande et oignons qu'ils jetèrent devant lui. Là-dessus, ils prirent un chien, le coupèrent en deux et jetèrent les morceaux dans le bateau, après quoi ils prirent toutes ses armes et les posèrent à côté de lui. Puis ils amenèrent deux chevaux qu'ils firent courir jusqu'à ce qu'ils fussent tout en sueur, après quoi ils les mirent en pièces à coup d'épées et jetèrent cette viande dans le bateau; il en fut de même de deux vaches. Puis ils apportèrent un coq et une poule, les tuèrent et les jetèrent dedans. Pendant ce temps, l'esclave qui était volontaire pour être tué allait et venait, rentrant dans chaque tente tour à tour, et le propriétaire de chaque tente avait des rapports sexuels avec elle, disant:"Dis à ton maître que j'ai fait cela par amour pour lui."

L'après-midi de ce vendredi était alors arrivé. Ils emmenèrent l'esclave jusqu'à quelque chose qu'ils avaient fait et qui ressemblait à un encadrement de porte. Alors, elle monta sur les paumes des hommes et atteignit une hauteur suffisante pour regarder par-dessus l'encadrement, et, elle dit quelque chose dans une langue étrangère. Ils la soulevèrent de nouveau et elle fit de même que la première fois. Ils la redescendirent, puis l'élevèrent une troisième fois et elle fit de même que la première et la deuxième fois. Alors ils lui donnèrent un poulet, elle en trancha la tête et la jeta; ils prirent le poulet et le jetèrent dans le bateau. Je demandai alors à mon interprète ce qu'elle avait fait. Il répondit: " La première fois qu'ils l'ont soulevée, elle a dit:"Regardez! je vois mon père et ma mère!" La seconde fois:"Regardez! Je vois tous mes parents mort assis à l'entour." La troisième fois elle a dit:"Regardez! Je vois mon maître en paradis, et le paradis est beau et vert, et il y a avec lui des hommes et des jeunes gens. Il m'appelle. Laissez-moi le rejoindre!"

Ils la conduisirent alors vers le bateau.

Alors, elle enleva deux bracelet qu'elle portait et les donna à la vielle femme, l'Ange de la Mort, celle qui allait la tuer. Ensuite, elle enleva deux anneaux de cheville qu'elle portait et les donna aux filles de cette femme appelé Ange de la Mort. On la conduisit au bateau mais on ne me laissa pénétrer dans la tente. Ensuite, un grand nombre d'hommes portant des boucliers de bois arriva et on lui donna une coupe de nabid. Elle chanta et la vida. L'interprète me dit alors:"C'est ainsi qu'elle dit adieu à toutes ses amies." Puis on lui donna une seconde coupe. Elle la prit et chanta un chant fort long; mais la veille femme lui dit de se hâter, de vider la coupe et d'entrer dans la tente où se trouvait son maître.

Je la regardai à ce moment-là: elle semblait complètement hagarde. Elle voulut entrer dans la tente et avança la tête entre la tente et le bateau. La vieille lui prit la tête et se mit en devoir de la faire pénétrer dans la tente où elle la suit elle-même. Alors, les hommes commencèrent à battre leurs boucliers de bâtons de bois, pour étouffer les cris de l'esclave, afin que les autres filles n'aient pas peur et refusent de mourir avec leurs maîtres. Six hommes entrèrent dans la tente, et tous eurent des rapports sexuels avec elle. Sur ce, ils la couchèrent aux côtés de son maître mort. Deux lui tinrent les mains, deux, les pieds, et la femme appelé Ange de la Mort lui passa une corde autour du cou, terminée par une boucle à chaque extrémité qu'elle remit aux mains de deux hommes, pour tirer. Elle s'avança alors, tenant une petite dague à large lame qu'elle commença à plonger entre les côtes de la fille tandis que les deux hommes l'étranglaient avec la corde, jusqu'à ce qu'elle fût morte.

Alors apparut le plus proche parent du mort. Il saisit un morceau de bois et y mit le feu. (...) C'est de cette façon que fut enflammé le bois qu'on avait entassé sous le bateau après y avoir placé l'esclave qu'on avait tuée à côté de son maître. Ensuite, les gens s'avancèrent avec des brandons et du bois; chacun portait un brandon qu'il jeta sur le bûcher, en sorte que toute la masse du bois prit feu, puis le bateau, puis la tente et l'homme et l'esclave et tout le reste."

Ibn Fadlan, "Voyage chez les Bulgares de la Volga"

Voici une reconstitution de l'évènement tiré du film "Le 13° guerrier"


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