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06-22-2009, 01:55 PM
Social : la bombe sale.

La récente demande de la société British Airways à ses salariés – travailler gratuitement pendant un mois au prétexte de sauver l’entreprise – n’est que la partie la plus spectaculaire et la plus visible d’un iceberg d’un genre très particulier, d’un nouvel objectif que se sont fixé certaines entreprises – notamment les plus grandes – en prenant prétexte de la « crise » : casser complètement les règles du jeu dans le rapport avec ses salariés et ses fournisseurs, prendre un avantage proprement ahurissant en termes de pouvoir et de rapport de forces. C’est ainsi une nouvelle donne politique qui se met en place, où le pouvoir des dirigeants des TGE (très grandes entreprises) va aller croissant, laminant les individus d’abord, les États ensuite.

Nous avons déjà analysé des aspects de ce phénomène dans de précédents billets (voir notamment L’effet pervers mais aussi Laura, 27 ans, Bac + 5, emploi précaire assuré) mais ce qui est désormais frappant, c’est son accélération.

On observe depuis quelques semaines, quelques mois à peine, l’émergence d’un nouveau type de « relations » entre entreprises et salariés d’une part, entreprises et fournisseurs d’autre part. Dans tous les cas, le tableau est le même : l’entreprise est saine, elle ne souffre pas de manière flagrante de la « crise » mais elle « redoute une baisse d’activité », comme disent les spécialistes. Ce message est distillé dans toute l’entreprise via rumeurs, bruits de couloirs, etc.

Attendrir la viande

Plus efficace encore, le bon plan de com’ consiste à faire circuler simultanément deux types de messages :

● un message officiel destiné à l’ensemble du personnel annonçant que tout va bien, que l’entreprise a anticipé une éventuelle baisse d’activité, que le secteur d’activité est moins affecté que le reste de l’économie, etc. ;

● des messages officieux laissant entendre que la situation est plus grave que prévue, qu’il va falloir prendre des mesures exceptionnelles, que de très gros risques pèsent sur l’entreprise, etc.

Objectif de cette double communication : « attendrir la viande », préparer psychologiquement les collaborateurs à n’importe quel type de mesures, les déboussoler, faire en sorte qu’ils s’approprient, qu’ils intériorisent, un discours sur la « crise » déconnecté des réalités de l’entreprise, de ses résultats réels, d’une vision aussi objective que possible de la situation.

Frapper

Une fois la préparation psychologique effectuée, les frappes vont pouvoir commencer.

Première frappe : la direction demande aux managers, directeurs de business units, responsables de département (appelez-les comme vous voulez) de réduire immédiatement la masse salariale de leur unité de 15, 20, 25 % (rayez les mentions inutiles…) tout en maintenant le niveau de chiffre d’affaires. Les moyens ? Aux managers de se débrouiller, c’est leur problème : non-renouvellement des CDD, remplacés par des « stagiaires » non payés, renégociation du salaire des CDI (« tu gardes ton job si tu acceptes de renoncer à ton variable » ou « « on variabilise une grande partie de ton fixe », selon les cas), licenciement négocié pour démarrer une carrière d’« auto-entrepreneur », tous les moyens sont bons. Le droit du travail ? On s’en fout, on est sortis du cadre, « c’est la méga-crise, coco ».

C’est bien évidemment à ce moment que la phase de préparation psychologique porte ses fruits : le salarié est lui-même convaincu que, renoncer cette année à ses primes, c’est le seul moyen de sauver son emploi et son entreprise. Son cadre habituel de références a disparu, il n’y a plus de garde-fous, il est prêt à sauter dans le vide avec son PDG, c’est-à-dire à renoncer à un ou deux mois de salaire. La seule différence, c’est que son PDG peut, lui, continuer à très bien vivre avec six mois de salaire par an seulement.

Seconde frappe : les fournisseurs. Tous : petits et grands, produits et services. Ici, la frappe est infiniment plus brutale : on ne va pas se contenter de 15 ou 20 % de baisse. Non, on ose 50, 60 %, on demande l’impensable. Et celui qui le demande a une motivation en béton : il vient d’accepter de rogner sa rémunération pour sauver sa boîte ! Ce n’est donc pas un c… de fournisseur qui va se mettre en travers de ce noble objectif. De victime, le salarié est devenu bourreau et il est prêt à manier la gégène avec l’ardeur du néophyte.

On assiste donc à des demandes surréalistes, du type : « Je n’ai pas de budget pour tel projet mais il faut le réaliser. Pouvez-vous le faire pour un montant symbolique ? » Variez les propos selon la culture d’entreprise et le mode d’organisation mais le principe reste le même : il n’y a plus de cadre de référence, je vous pressure psychologiquement pour que vous acceptiez l’absurde, tous les verrous ont sauté. « Et puis, vous n’avez qu’à appliquer la même méthode à vos salariés et fournisseurs. »

Une « bombe sale » sociale

Le résultat ? Le développement d’une violence psychologique et sociale inouïe, qui peut s’apparenter à celle des sectes, et dont l’unique but est de maintenir coûte que coûte le niveau des bénéfices et la concentration du capital dans les mains d’un nombre de plus en plus restreint de personnes.

Traduit en termes militaires, l’utilisation de tels procédés dans la relation sociale, la mise en œuvre planifiée d’une telle violence, d’une pression aussi insoutenable sur les individus, correspond à l’emploi d’une « bombe sale sociale », comme on utiliserait une « bombe sale » nucléaire dans un conflit militaire au départ classique.

Ce choix volontaire d’hyper-violence sociale va se traduire en maladies, suicides, divorces et violences physiques diverses pour ceux qui en sont les victimes. Quelle sera la réaction des populations face à cette escalade ? Terreur, abattement, ou réaction tout aussi violente (les « prises d’otages » de patrons ne seraient alors que d’aimables hors d’œuvre), ou encore volonté de passer à un autre type de société « dénucléarisée socialement » ? La réponse nous appartient…

Page imprimée du site toutsaufsarkozy.com
http://www.toutsaufsarkozy.com/cc/article02/EkuVyEFEppTcyrdDKR.shtml